L'année dernière, la campagne présidentielle était perturbée par l'affaire Fillon, lequel avait employé en qualité d'assistant parlementaire sa femme et deux de ses enfants, emplois que Le Canard enchaîné soupçonnait de fictivité. Beaucoup de professeurs de droit sont intervenus dans le débat public. Les uns invoquaient les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance des parlementaires, les autres (dont je faisais partie) prônaient le contrôle judiciaire de l'usage par les élus de la Nation des fonds publics mis à leur disposition. L'existence de ce débat est réjouissante d'un point de vue démocratique, sauf à critiquer les excès de langage de ceux qui ont cru pouvoir parler de « coup d'État institutionnel » ou de « tribunal de l'opinion ».
Un article a eu un retentissement médiatique plus important que les autres, certainement en raison de l'éminence de ses auteurs : les deux grands constitutionnalistes Pierre Avril et Jean Gicquel. Il était intitulé : « Collaborateurs parlementaires : respectons le droit » (Le Figaro, 9 févr. 2017). Sous ce titre, qui sonnait comme une injonction et qui convoquait l'objectivité du droit et la neutralité des universitaires qui en délivraient la substance, j'avais cru lire les éléments de langage du candidat Fillon et de ses avocats. Je ne pensais pas si bien croire.
Le directeur de campagne de François Fillon, Patrick Stefanini, dans un livre d'entretiens publié en fin d'année dernière, explique qu'il a « pris attache, le samedi 4 février, de plusieurs des meilleurs constitutionnalistes, dont les professeurs Pierre Avril et Jean Gicquel, qui ont signé dans Le Figaro une tribune pour rappeler ce principe [la séparation des pouvoirs] et la portée qu'il convenait de lui donner en l'espèce » (Déflagration, Dans le secret d'une élection impossible, avec C. Barjon, Robert Laffont, 2017, p. 269 et 270). La fameuse tribune était donc une commande destinée à participer au plan de communication de l'équipe de campagne du candidat !
Ne croyant pas à la neutralité de la doctrine, je ne vois pas d'inconvénient à reconnaître qu'elle est nécessairement engagée et que les opinions des auteurs influencent nécessairement leurs analyses juridiques. C'est le mélange des genres qui me paraît inacceptable. Les professeurs de droit sont souvent sollicités pour rédiger des consultations. Aucun problème à cela. Parfois ils acceptent de transformer leurs consultations en article afin de donner une apparence d'objectivité scientifique à une opinion sollicitée par un commanditaire qui y a intérêt. C'est là que l'éthique universitaire est bafouée et que la doctrine devient partisane. L'honnêteté commandait à ces deux professeurs de révéler la sollicitation dont ils avaient été l'objet. Cette transparence aurait permis à leurs lecteurs de ne pas être abusés par l'objectivité apparente conférée par la mise en avant de leurs titres académiques et leur posture consistant à en appeler au respect du droit (sous-entendant, a contrario, que ceux qui ne pensaient pas comme eux étaient forcément dans l'erreur ou, pire, ne respectaient pas le droit constitutionnel français).
Ce mélange des genres a déjà été dénoncé par le passé ; le fait qu'il perdure est susceptible de discréditer l'ensemble des publications universitaires. Il me semble qu'une solution serait d'abandonner l'idée fausse que la doctrine a pour fonction de décrire le droit de manière neutre et d'avoir l'honnêteté intellectuelle de dire d'où l'on parle lorsque l'on écrit sur commande.
Jean-Pascal Chazal, Professeur des Universités, École de droit de Sciences Po
Recueil Dalloz, N° 16 du 26 avril 2018 p.841
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