F. Ost, A quoi sert le droit, Usages, fonctions, finalités, Bruxelles, Bruylant, 2016, 570 p
La première partie s’ouvre, après une clarification conceptuelle bienvenue, sur la question que l’auteur avoue n’avoir cessé de se poser : « qu’est-ce qui change lorsqu’on passe au droit ? » (p. 41). Le passage au droit a un triple effet : il établit une « forme minimale de reconnaissance réciproque », il inscrit le rapport social « sur une autre scène, celle du “tenu pour juste” » et il rend chacun « virtuellement justiciable », redevable de cette scène tierce (pp. 41-42). Une première idée forte se dégage à ce stade, celle de la secondarité du droit : « le lien social n’est jamais naturellement ou originairement juridique ; il le devient, éventuellement, dans un second temps lorsque se développe un besoin de sécurité, de publicité, ou de durabilité » (p. 47). F. Ost examine ensuite les divers usages dont le droit fait l’objet, tant de la part des autorités que des particuliers, et on s’en doute, l’intérêt réside davantage dans les usages qui contournent voire détournent les finalités attendues du droit que dans ceux qui s’y conforment. Examinant notamment les thèmes de la désobéissance civile, de l’abus de droit, du law shopping mais également des deals de justice offerts par les pouvoirs publics, le philosophe du droit démontre avec brio comment « gouvernants comme gouvernés peuvent, au gré de leurs stratégies et de leurs intérêts, mobiliser le droit – qui est à la fois menace et ressource, arme et bouclier –, dans des sens les plus divers, y compris pour légitimer des actes qui y contreviennent » (p. 8).
La deuxième partie passe en revue les fonctions du droit, en partant de l’idée que, dans son rôle de pilotage social, le droit à la fois redouble (comme institution seconde) et dépasse (en les supplémentant) les institutions sociales qui lui préexistent. Alors que le droit est souvent critiqué pour son écart par rapport au réel, F. Ost souligne la nécessité de cette distanciation : « comme l’art et ses constructions imaginaires, il revient précisément aux fictions juridiques de se distancier des contraintes du réel, pour libérer des mondes possibles – ceux-là mêmes qui, parce qu’ils “sortent du cadre”, peuvent résoudre le contentieux qui s’enlisait » (p. 131). Cette distanciation sert, du reste, la cause du droit : « Dès lors que l’appareil symbolique du droit se met en marche, son autonomisation ne cesse de s’accroître, et, en retour, sa capacité paradoxale d’action sur le réel », comme si « au gré de l’intensification de ses interventions, le droit diffusait toujours plus largement sa manière propre d’instituer le social » (p. 132).
Ci après quelques paragraphes attirantes du livre:
"Les armes de droit ne sont pas utilisées par les autorités pour appliquer le droit tel qu’il est, ou par les victimes dans un but émancipatoire, elles permettent souvent d’exercer un intense lobbying législatif en vue de conforter leurs intérêts et de développer une efficace ingénierie juridique et fiscale en vue d’échapper aux rigueurs de la loi qui s’impose aux autres".
F. Ost, A quoi sert le droit, Bruylant, juin 2016, p 81
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"Elle laisse aux opérateurs les plus puissants le choix stratégique du système normatif qui convient le mieux à la maximisation de leurs intérêts. Dans ces conditions, les entreprises transnationales n’hésiteront pas à délocaliser leurs activités ou leur siège social pour pratiquer le law shoping qui leur est le plus avantageux"
F. Ost, à quoi sert le droit, p 498.
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mercredi 5 avril 2017, 16:52 UTC+02
Dès lors que le juge est appelé à faire preuve de « sagesse pratique en situation », il devra, dans certains cas, corriger la loi par l’équité, car « sur certains points il n’est pas possible de s’exprimer correctement en termes généraux » Aristote, Éthique à Nicomaque, trad. par R. Bodeüs, Paris, Flammarion, 2008, 1, V, pp. 92-94.
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jeudi 6 avril 2017, 15:47 UTC+02
"On est aujourd’hui avec une équité qui reste subreptice, secrète, enfouie, déguisée, maquillée, de sorte que, si danger il y a pour la sécurité juridique, c’est bien plutôt dans la dissimulation du fait que certaines décisions sont prises en équité" l’insécurité ne vient pas du recours à des théories correctrices, mais de son caractère clandestin et implicite".
F. Ost, à quoi sert le droit, p 505
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jeudi 6 avril 2017, 19:29 UTC+02
"Pourquoi l’ours est-il qualifié de « mauvais raisonneur » ?
Parce qu’il s’en tient à un syllogisme théorique qui, à partir d’une prémisse unique (il faut préserver le sommeil du dormeur), le conduit à une solution aussi logique que destructrice. S’il s’était donné le temps de la réflexion, il aurait compris que la mission qui lui était impartie ne devait pas se réaliser à tout prix, et que d’autres objectifs, restés implicites, étaient plus importants encore. parce qu’il part de la règle et non du cas ; il s’en tient à ce qui est le plus simple et ce qu’il connaît : son ordre de mission. Le malheur est que, en l’occurrence, la réalité ne lui demande pas « quel est ton devoir ? », mais plutôt : « Dans le cas présent, comment remplir au mieux ta mission ?".
F. Ost, à quoi sert le droit, p 511
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